"Un temps à deux pattes"



«Silence. Ça tourne ! » Les spectateurs, « cinéastes de La Charité », massés salle capitulaire, ont joué les apprentis metteurs en scène, galvanisés par Jean Bojko, artiste aux multiples talents. Brillant lorsqu'il pond idées de génie sur idées de génie pour faire vivre la culture là où on ne l'attend pas, le Morvandiau d'adoption a livré avec coeur une lecture très imagée d'un scénario qu'il avait imaginé pour un film avec Hanna Schygulla, Philippe Noiret et Armand Gatti.
Jamais porté à l'écran, le récit prend vie, sans image, et à la seule force d'une voix qui se fait puissante et douce à la fois, jouant tour à tour narrateur et protagonistes. Les scènes se dessinent dans leurs moindres détails, et les mots sont d'une telle justesse qu'on ne regretterait presque pas qu'aucun film n'ait vu le jour. Quel magicien ce conteur !


D'une campagne à l'autre

Les premières images entraînent les spectateurs dans la campagne nivernaise où Roger le Morvandiau, seul habitant d'un hameau reculé vit seul depuis le décès malheureux de sa voisine Geneviève. Toutes les images du temps passé sont là. Rentabilité oblige, le boucher ambulant ne lui livrera plus la viande. Toujours pressé, le facteur ne prend plus le temps de discuter et jette machinalement le journal sans dire un mot.
À l'autre bout de l'Europe, Mykola l'Ukrainien des Carpates partage le même quotidien. Tout comme jadis, sur le champ de bataille, lorsque les deux hommes aux origines si différentes et aux vies pourtant si proches étaient comme frères. Une simple photo et le passé d'une promesse non tenue ressurgit. Roger enfourche son vélosolex et part à l'est, au moment même où son ami de toujours prend le bus pour le rejoindre à l'ouest.
Raconté avec simplicité, humour et tendresse, ce récit donne du baume au coeur. Alors, pourquoi ne pas finalement le faire ce film ? « Pour qu'il soit projeté dans un de ces multiplexes? C'est bien mieux comme ça ! »


Fanny Delaire
le Journal du Centre