Cheminement

Notre réflexion s'élabore à partir de différents référents qui s'organisent principalement autour des notions de «
centre » et de « périphérie » et notamment :

1)du fameux aparté attribué à Galilée sur les rapports de la Terre à l'Univers,

2)des pratiques commerciales spécifiques des épiciers, bouchers, charcutiers, boulangers, poissonniers et autres commerçants ambulants qui sillonnent les territoires ruraux,

3)de la
disparition des services publics de proximité et du commerce ambulant en milieu,

4)des spécificités topographiques, sociologiques, culturelles d'un territoire rural,

5)du mode de circulation habituel de l'information, de la culture qui, le plus souvent, procède encore d'un centre fixe vers une périphérie invitée à être mobile,

6)des perturbations et des possibilités nouvelles que provoquent l'apparition des champs numériques dans ces
modes de circulation dominants,

7)des centralisations nouvelles qui se dessinent irrémédiablement autour de toute politique de décentralisation qui provoque non une décentralisation mais un éclatement et une
multiplication des centres,

8)des confusions patentes qui font de tout centre, un lieu de décision, un lieu de référence à partir duquel s'établit une hiérarchie et par conséquent une domination symbolique,

9)de l'abbaye de Corbigny où nous travaillons, comme « centre culturel de pays », de la nature des propositions qui en émanent et des difficultés à imaginer une
relation au territoire autre qu'univoque ;

10) des remarques sur le temps disponible et les contraintes particulières liées au contexte rural et auquel on applique des modèles imaginés par des experts dans un environnement urbain,

11) des remarques quant à la difficulté qu'ont la plupart des artistes à proposer des formes et des lieux de représentation qui prennent en compte ceux à qui ils entendent s'adresser,

12) des expériences menées précédemment par le TéATr'éPROUVèTe sur les liens art et société et sur l'implication des populations comme « les 80 ans de ma mère » sur l'âge et la vieillesse ou « Je suis cultivé(e), je fais du potager » sur les rapports culture et nourriture

13) de la fonction de l'artiste comme «
artisan de la vie en commun » susceptible de faire des propositions destinée à améliorer la vinaigrette sociale à partir de ceux qui en sont l'huile et le vinaigre,

14) des possibilités d'imaginer des relations au-delà des considérations économiques stricto-sensu, des calculs de rentabilité, des plans de croissance... sachant que ces termes peuvent s'appliquer à d'autres domaines tous aussi vitaux comme la culture, la santé, l'éducation, la connaissance...

15) des interrogations sur le
nomadisme et la sédentarité révélées lors des expulsions des populations Roms


Démarche

A partir de 1998, nous avons tenté d'emprunter d'autres voies pour ce qui est du théâtre, sans pour autant remettre en cause cette idée d'un théâtre fortement ancré dans la Cité. A un moment où les systèmes-réseaux faisaient éclater les espaces, nous essayions d'imaginer d'autres façons, nous essayions de sortir d'un rapport salle/scène, comédiens/ spectateurs, nous voulions
aggraver notre cas au point de proposer un théâtre débarrassé du spectaculaire, en somme un théâtre sans son H, un théâtre qui redescendrait de sa hauteur pour se fondre dans l'espace social, pour s'acoquiner avec le quotidien, pour aider son voisin à prendre la parole dans le flot des paroles, pour interpeler son élu.

Nous nous proposions de briser les murs ( le 4ème et tous les autres) et de faire entrer nos histoires dans l'espace de la Cité même pour la questionner de l'intérieur et ainsi tenter de redonner une certaine efficacité à l'acte théâtral sur le plan social et politique.

C'est ainsi que pour parler de l'exclusion nous avons inventé «
Création pour une ouverture vraie » avec 12 personnes dans la galère, pour parler de la ruralité nous avons inventé « 32+32 » et marié 32 artistes à 32 petites communes rurales, pour parler de l'image de la vieillesse nous avons inventé « Les 80 ans de ma mère » avec un service d'artistes à domicile pour personnes âgées isolées, un laboratoire de recherches multimédia, pour parler des rapports nourriture et culture nous avons inventé « Je suis cultivé, je fais du potager » ainsi que « L'Assiette du lundi » et pour questionner les rapports connaissance et plaisir nous avons inventé « L'Université des Bistrots ».

Pour nous, ces expériences qui sortent du cadre conventionnel, relèvent bien du théâtre puisque, même si nous les bousculons fortement, nous respectons les fondamentaux du théâtre qui s'écrivent sous la forme :
espace + jeu + temps.

La proposition «
Et pourtant, elle tourne ! » se situe dans cette démarche.

Il s'agit bien dans un espace donné, dans un temps donné, d'inventer et jouer une histoire destinée à faire réfléchir sur la façon dont s'organise (ou se désorganise) les services à l'autre dans un environnement rural à un moment où disparaissent les services publiques, les commerçants itinérants, les médecins, et ou se dessinent des espaces qui se situent hors-jeu dans un contexte sociale et politique où domine la logique économique qui aggrave l'isolement et l'exclusion.

Nous essayerons de mettre en place une fiction collective en plusieurs volets, dont le titre générique sera «
Et pourtant, elle tourne ! », avec des personnes volontaires résidant en milieu rural, des commerçants, des artistes, des intellectuels, de manière à mettre en exergue la nécessité d'imaginer d'autres façons de penser le service à l'autre et de souligner la spécificité des territoires ruraux.