La multiplication,
ou comment l'ordinaire fait l'histoire.
Il s'agit d'une pièce très particulière destinée à questionner une communauté (pas seulement des spectateurs) sur un problème prégnant.
Le premier problème que nous soumettons est celui du danger de la montée de l'extrème droite en Europe à travers l'exemple autrichien.


Que savons-nous d'Anna ?

Tous ceux qui ont entendu parler d' Anna savent qu'il s'agit d'une femme ordinaire. Tout ce qu'il y a d'ordinaire : une naissance ordinaire, une enfance ordinaire, une scolarité ordinaire, une vie professionnelle ordinaire, un mari ordinaire, des amours ordinaires, des enfants ordinaires...
Anna ressemble à ces personnes que l'ont voit circuler en arrière plan sur certains films d'archives et surprises malgré elles par l'objectif de la caméra. Ou encore à ces personnes qui interrogent votre regard du fond d'un carton, dans une brocante de bord de route.
Anna n'a rien fait qui vaille d'être remarqué. Il ne lui serait pas venu à l'idée de tuer un homme d'Etat, de s'engager en politique ou encore dans quelque résistance que ce soit. Ni même d'écrire un roman ou des poèmes, ou bien de s'exhiber sur une scène ou encore de siffler un hymne national dans un stade. Rien de remarquable, pas de quoi intéresser le moindre échotier... Une vie normale de normale qui se déroule depuis les années 20 jusqu'à nos jours.
Pourtant, cette femme n'a pas cessé d'agir au quotidien. Elle a balayé, nettoyé, fait cuire, épluché, récolté, acheté, vendu, porté, complété, payé, traversé, conduit, fait coulé, bu , dormi, veillé, accouché, élevé, ouvert, fermé, beurré, casser, touiller... Il en est des verbes d'action pour traduire la volonté de vivre les jours.
Derrière elle, autour d'elle, autour de son histoire ordinaire, sur elle, s'est déroulée l'Histoire, la vraie la grande, celle qui noircit les pages des revues et des journaux. Celle qui fait bondir les reporters, crépiter les flashes... Et ce n'est pas rien, l'environnement historique où s'est inscrite la vie toute simple, toute ordinaire d'Anna. Hitler, le nazisme, les camps de la mort... Rien que ça...
Et elle n'est pas toute seule, Anna, dans son cas, à être dans la normalité des jours. Ils font masse, ils sont les masses, nous sommes masse, occupés chaque jour, à aller, venir, et à ne pas faire l'Histoire...
Comment à côté d'Anna, à côté de tous ces gens qui ressemblent à Anna, tous ces gens qui vont, qui vaquent qui viennent, comment à côté de nous, si normaux, si actifs, si nombreux, l'horreur, l'inacceptable peuvent-ils naître? Sommes-nous responsables? Ou sommes-nous bernés car écartés, de fait, de toute pensée critique ?